Alors voilà, déjà six petits jours que deux mille dix-huit a (presque) doucement refermé ses pages.
Il n’y avait pas vraiment de mots pour définir deux mille dix huit – rien ne rime avec ça, c’est désespérant, alors cela laissait la porte ouverte à tout, trois cent soixante cinq jours de page blanche sans aucune attente. Et c’est vrai, je n’attendais rien de précis de deux mille dix huit, je crois que deux mille dix sept m’avait bien appris que cela ne sert pas à grand chose de prévoir, rien ne se passe jamais vraiment comme prévu.
Des ambitions, en revanche, j’en avais. J’en avais beaucoup.
Je devais faire un triathlon, je devais faire un semi marathon, je devais arrêter de pleurnicher pour des garçons, je devais figurer out mon avenir professionnel et prendre une décision, free-lance ou plus de free-lance, je devais déménager, je devais partir en voyage, je devais arrêter de boire trop de café.
J’ai fait un semi-marathon – affreux ; je n’ai pas fait mon triathlon. J’ai plus ou moins arrêté de pleurnicher pour des garçons. J’ai emménagé en coloc’ avec mon humaine préférée, je n’ai pas beaucoup voyagé.
Pour tout le reste…
Au mois de mai, un peu avant un peu après, j’ai pris des billets d’avion pour rentrer à la maison. Ça n’allait plus bien du tout, tout le monde autour de moi commençait à un peu me faire sentir qu’il fallait faire quelque chose, alors j’ai pris des billets d’avion pour passer quelques semaines loin du quotidien et près de ma maman, de son taboulé et des vagues de l’Atlantique.
J’ai beaucoup réfléchi, j’ai pris beaucoup de recul, je suis allée courir au bord de l’océan tous les matins – j’ai beaucoup bu et j’ai beaucoup mangé aussi – et j’ai fini par prendre quelques décisions. Le free-lance, ça avait été une belle aventure, mais je n’étais plus capable de vivre l’angoisse du loyer à payer et cela me rendait malade. De la même manière, ma petite marque de papeterie était beaucoup trop compliquée à gérer au jour le jour, je n’ai pas vraiment les épaules pour tout mener de front, je suis exécrable pour gérer des inventaires et toute la logistique que cela implique. Cela m’a causé des nuits de larmes et d’insomnies, mais cela devenait évident qu’il fallait que j’arrête – ou bien que je change de méthode.
Cette marque de papeterie représentait beaucoup plus qu’un simple petit business. C’était la première fois que je fabriquais de toutes pièces un projet, dont j’étais la seule responsable. Cela me plaisait, de ne rien devoir à personne – et c’est sans doute cela qui aura précipité la fin de cette aventure. J’ai mis beaucoup de temps à admettre cet échec – et surtout à admettre que plus qu’un échec, c’était surtout beaucoup d’apprentissages. Aujourd’hui, cela va mieux. Ma petite marque est en liquidation, mais j’ai beaucoup d’idées pour relancer autre chose, toujours avec des mots (mais pas que), toujours avec du papier (mais pas que) et cette fois-ci, en m’entourant des bonnes personnes pour m’épauler tout au long de l’aventure.
Pendant ce voyage, j’ai rencontré ma petite nièce et filleule d’amour, ce qui n’a pas manqué me serrer le coeur quand, trois jours après, j’ai fait un bisou à toute la famille, accompagné du sempiternel à bientôt qui ne veut rien dire parce que ce bientôt est un mensonge, quand on passe plus d’un an séparés, ce n’est pas bientôt.
Évidemment dans l’avion du retour, je rajoutais une case de plus à mon pour/contre mental « rester à Montréal ou rentrer en France » – qui se complète chaque jour un peu plus, alternant les cases à remplir, sans pour autant que cela mène quelque part.
À mon retour de vacances en Europe, la vie s’est accélérée, sans que je ne comprenne exactement pourquoi, comment, dans quel but. L’année qui me semblait si longue et difficile à traîner est devenue légère et beaucoup plus pailletée.
C. est venu passer quelques jours à Montréal. On a ri, on est allés nager à l’aube, on a bu du vin jusqu’à presque l’aube, on a regardé des dessins animés et surtout, oh la la, surtout, on a passé des heures à bosser ensemble chacun sur ses lignes de code. Cela faisait longtemps qu’il me disait de tenter Le Wagon, et, bien que l’idée me semblait excellente, je repoussais parce que c’est pas le bon moment, j’ai pas d’argent, je suis pas certaine, et encore bien des excuses. Et puis un soir, après une journée de boulot et une soirée de gin to, j’ai mis de côté mon orgueil, ma fierté et mon ego et ai demandé à mon papa de me prêter l’argent pour faire cette formation, avec un argumentaire solide. Le lendemain, il me disait oui. Quelques mois plus tard, je présentais l’app que je venais de développer. Dans quelques jours maintenant, je donne un workshop avec eux et je serai prof assistante pour le prochain batch et j’ai terriblement hâte de pouvoir transmettre à mon tour un bout de la formidable expérience que j’ai pu vivre, et je suis aussi terriblement fière de pouvoir travailler pour cette entreprise. Il y a eu quelques décisions dans ma vie qui ont compté. Celle-ci en fait partie et elle est plutôt haut dans le Top 3.
J’en ai déjà (trop) (longuement) parlé mais ces deux mois m’ont fait passer de meuf-zéro-patience-zéro-confiance à meuf-qui-leade-une-équipe-et-qui-n’hésite-plus-à-dire-oui-à-toutes-ces-nouveautés. Je suis même capable de téléphoner à des recruteurs sans avoir les mains qui tremblent, rendez-vous compte. Et surtout, je commence à admettre que j’ai des compétences et que ce n’est pas mauvais de les mettre en avant ; que j’ai des faiblesses et des lacunes aussi et que ce n’est pas mauvais de les avouer aussi ; et que s’entourer des bonnes personnes est la clé (de l’amour, de l’amitié, à l’instar de la musique, comme le chantait la Star Ac’), mais aussi est la clé pour bien avancer.
Entre tout ça, j’ai travaillé quelques semaines dans une grosse agence de publicité. Une candidature envoyée un mardi, un entretien le jeudi, un oui le vendredi et un nouveau bureau deux jours après, avec tout ce qui allait avec. Des nouveaux collègues, des nouvelles habitudes, des bagels et des fruits à volonté, les bières le jeudi soir et les gros canapés pour bosser dedans au besoin.
Je ne voulais plus du free-lance, alors il fallait bien essayer autre chose. À bien des égards, cette expérience aura été ultra enrichissante (et pas uniquement parce que j’ai pu établir mon ordre de préférence entre les différentes sortes de bagels, sésame for the win) ; en revanche, la conclusion est sans appel : ce n’est pas pour moi, j’ai trop besoin de pouvoir avoir mon nez dans toutes les étapes d’un projet pour réussir à aimer travailler avec 62 549 interlocuteurs et tout autant de processus et de personnes à mettre en CC dans les mails.
Mon avenir pro n’est donc toujours pas exactement figuré out (je sais que c’est un affreux anglicisme, oui), mais j’ai des petits brins d’idées. En éliminant tout ce qui ne me convient pas, je devrais réussir à dessiner les contours de ma vie professionnelle rêvée (en fait, non, je sais exactement où je veux aller la prochaine année mais je suis encore trop superstitieuse pour en parler).
Sans aucune transition avec le paragraphe précédent, ma petite soeur est venue me rendre visite – enfin, après cinq ans. Avec deux de ses amies – salut les meufs – on a pris la voiture, des sacs de couchage, et on est parties vers le Nord, bien plus au Nord. Ces sept jours de fous rires m’ont fait un bien fou, et revoir ma petite soeur et partager ces moments avec elle était précieux. Je l’aime plus que tout au monde, cette femme, et tous les jours, elle m’impressionne un petit peu plus, et tous les jours, je suis un petit peu plus fière de ce qu’elle devient.
On a passé une semaine à beaucoup trop manger, à ne penser qu’à ce qu’on allait manger et a parlé de ce qu’on venait de manger (et aussi de notre transit intestinal, ce qui finalement va de pair avec tout le reste). On a entrecoupé ces réflexions de quelques randonnées dans les montagnes et d’une nuit dans des cabanes perchées dans des arbres qui sont devenues l’obsession de fin du voyage. C’était absolument fabuleux – j’ai mille photos à trier pour en faire un joli petit article – et lui faire découvrir l’endroit dans lequel je vis depuis toutes ces années était important.
J’ai fêté mes cinq ans à Montréal. Quand on me demande si je veux rester, je réponds non. Mais je suis pour le moment incapable de prendre une vraie décision, et surtout, je crois que perdre des amis à cause de la distance est devenu trop présent dans ma vie pour recommencer tout de suite. Si j’étais dans un livre de développement personnel, je glisserai bien une phrase qui dit que les décisions arrivent lorsqu’on s’en sent réellement prêt et c’est plutôt vrai, mais comme je ne suis pas vraiment dans un livre de développement personnel, je dirai plutôt que j’attends encore que l’Univers me fasse un signe qui ne soit pas trop compliqué à comprendre.
(J’ai gagné en beaucoup de choses cette année, mais tout de même pas en adulthood et en maturité face à la prise de décisions.)
Alors voilà, deux mille dix huit, c’était tout ça. Bien sûr, il y a eu d’autres choses – j’ai fait du clemoncello (c’est comme du limoncello mais avec des clémentines, c’est très bon, mais pas en shooters) ; j’ai acheté une salopette qui, d’après les garçons, me fait un cul d’enfer ; je suis partie en camping avec les trois meufs les plus fantastiques de la vie et on s’est mises presque à poil sur une route du Québec pour rigoler ; j’ai failli mourir quand, avec C. on a calé sur un énorme rond-point sur le chemin du désert des Bardenas Reales parce qu’on avait une voiture qui avait décidé d’être indépendante au niveau du moteur – après coup on a ri, mais enfin, on a quand même eu très peur – et j’ai trouvé un billet de 20 euros par terre juste après alors je nous ai acheté des glaces au yaourt et des gins to (et du coup on est pas allées jusqu’au désert) ; j’ai goûté beaucoup de nouveaux gins ; j’ai essayé d’aimer la bière, en vain et j’ai fait quelques entorses à mon véganisme face aux plateaux de fromages divers (et au Comté toujours présent dans le frigo de mes parents), ce qui m’a fait me poser beaucoup de questions sur les valeurs que l’on défend.
Et j’ai continué à boire trop de café.
J’ai refermé deux mille dix huit en grand, après un Noël rempli de premières fois et un réveillon de Saint-Sylvestre remplie de polenta grillée – un régal, les amis, un régal – et de tartelettes d’oignons et champignons – un régal, les amis, un régal – et surtout, remplie de (presque toutes) ces personnes qui comptent. On avait accroché une boule à facettes dans le salon, elle y trône encore et je me cogne la tête dedans systématiquement.
J’ai commencé deux mille dix neuf en tailleur par terre à faire un puzzle Harry Potter tout en buvant du café ; comme d’habitude, pleine d’une énergie nouvelle et pleine de toutes ces promesses qu’une première semaine de janvier peut apporter.
Alors, pour une fois, laissons de côté les rimes. Deux mille dix neuf, des promesses à concrétiser et toujours, toujours, toujours, des paillettes par milliers. C’est bien tout ce que je nous souhaite.